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Le juge peut‑il accorder une indemnité supérieure à l’offre de l’expropriant lorsque l’exproprié garde le silence ?

La Cour de cassation vient d’opérer un revirement majeur en matière d’expropriation. Désormais, même en l’absence de réponse de l’exproprié aux offres de l’administration, le juge de l’expropriation peut fixer une indemnité supérieure à celle proposée par l’expropriant, dans la limite de l’évaluation du commissaire du gouvernement.
Le cadre légal : la fixation de l’indemnité par le juge
Aux termes de l’article R. 311‑22, alinéa 3 du code de l’expropriation, lorsque l’exproprié ne répond pas à l’offre qui lui est présentée et ne dépose aucun mémoire, le juge statue d’après les éléments dont il dispose. Ces éléments incluent notamment la proposition du commissaire du gouvernement, déposée au cours de la procédure judiciaire.
Cette règle garantit qu’un propriétaire silencieux n’est pas privé d’un niveau d’indemnisation juste et équilibré, conforme à la valeur réelle du bien exproprié.
L’affaire à l’origine du revirement
Dans une affaire récente, une société expropriée d’un terrain en Guyane s’était vu accorder par la cour d’appel de Cayenne une indemnité principale de 10 830 € et une indemnité de remploi de 1 874,50 €. L’expropriant, qui proposait des montants bien inférieurs (3 819 € et 763,80 €), a contesté la décision.
Il soutenait que, dans la mesure où l’exproprié s’était abstenu de répondre et de produire un mémoire, la cour d’appel ne pouvait dépasser son offre initiale, même si le commissaire du gouvernement proposait un montant plus élevé.
La Cour de cassation, par un arrêt du 15 février 2024, rejette ce raisonnement et précise qu’en application de l’article R. 311‑22, le juge peut librement fixer une indemnité supérieure, tant qu’elle ne dépasse pas la proposition du commissaire du gouvernement.
Un revirement de jurisprudence majeur
Jusqu’alors, la position de la haute juridiction était inverse : en cas d’absence de mémoire ou de réponse de l’exproprié, le juge devait se limiter strictement à l’offre de l’expropriant, sans pouvoir d’appréciation ([Cass. 3e civ., 17 juil. 1973, n° 72‑70.198] ; [Cass. 3e civ., 23 sept. 2020, n° 19‑20.633]).
Désormais, le juge dispose d’une marge d’appréciation, fondée sur la participation active du commissaire du gouvernement, considéré comme une partie intégrée à la procédure selon la jurisprudence de la CEDH ([CEDH, 24 avril 2003, Yvon c. France]) : sa proposition constitue un repère objectif d’évaluation apte à garantir la juste indemnisation du propriétaire dépossédé.
Ce nouveau cadre reconnaît l’expertise technique du commissaire du gouvernement, notamment en matière d’évaluation foncière et d’accès aux données du marché.
Les limites : lorsque l’exproprié formule une demande
La Cour de cassation précise que si l’exproprié présente une demande chiffrée – soit en répondant à l’offre, soit en déposant un mémoire – le juge ne peut pas accorder une indemnité supérieure au montant sollicité, même si la proposition du commissaire du gouvernement est plus élevée.
L’objet du litige demeure défini par les prétentions respectives des parties au sens de l’article 4 du Code de procédure civile.
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